19 mai 2011

En route pour Cuba! #3 - Nicolás Guillén, la négritude cubaine, 2e partie

Comme annoncé dans mon billet précédent, aujourd’hui je partage avec vous un nouveau poème de Nicolas Guillén, le chantre de l’afro-cubanisme.
 
Avec beaucoup d’émotions,  j’ai retrouvé ce poème étudié au collège, si fort, émouvant et intense en espagnol, si « plat », malheureusement, s’il était traduit en français. Je n’ai pas trouvé la traduction mais je suis certaine que pour ceux ayant quelques notions d’espagnol, sa simple lecture, rythmique, évoquera déjà beaucoup!
Balada de los dos abuelos (1934)
Sombras que sólo yo veo,
me escoltan mis dos abuelos.
Lanza con punta de hueso,
tambor de cuero y madera:
mi abuelo negro.
Gorguera en el cuello ancho,
gris armadura guerrera:
mi abuelo blanco.
Pie desnudo, torso pétreo
los de mi negro;
pupilas de vidrio antártico
las de mi blanco!
Africa de selvas húmedas
y de gordos gongos sordos...
--¡Me muero!
(Dice mi abuelo negro.)
Aguaprieta de caimanes,
verdes mañanas de cocos...
--¡Me canso!
(Dice mi abuelo blanco.)
Oh velas de amargo viento,
galeón ardiendo en oro...
--¡Me muero!
(Dice mi abuelo negro.)
¡Oh costas de cuello virgen
engañadas de abalorios...!
--¡Me canso!
(Dice mi abuelo blanco.)
¡Oh puro sol repujado,
preso en el aro del trópico;
oh luna redonda y limpia
sobre el sueño de los monos!
¡Qué de barcos, qué de barcos!
¡Qué de negros, qué de negros!
¡Qué largo fulgor de cañas!
¡Qué látigo el del negrero!
Piedra de llanto y de sangre,
venas y ojos entreabiertos,
y madrugadas vacías,
y atardeceres de ingenio,
y una gran voz, fuerte voz,
despedazando el silencio.
¡Qué de barcos, qué de barcos,
qué de negros!
Sombras que sólo yo veo,
me escoltan mis dos abuelos.
Don Federico me grita
y Taita Facundo calla;
los dos en la noche sueñan
y andan, andan.
Yo los junto.
--¡Federico!
¡Facundo!   Los dos se abrazan.
Los dos suspiran.   Los dos
las fuertes cabezas alzan;
los dos del mismo tamaño,
bajo las estrellas altas;
los dos del mismo tamaño,
ansia negra y ansia blanca,
los dos del mismo tamaño,
gritan, sueñan, lloran, cantan.
Sueñan, lloran, cantan.
Lloran, cantan.
¡Cantan!
Plus que dans « Un son para niños antillanos », dans ce son-là (forme poétique métisse rythmique empruntant à la musicalité africaine) Guillén se fait le poète de la réconciliation, du respect mutuel de l’homme noir et de l’homme blanc, de la cohabitation mûre et fraternelle des noirs, blancs et métisses descendants des Espagnols et des Africains.
Cette ballade est celle, symbolique, des aïeux de Guillén et de tous les métisses de Cuba, mais c’est aussi la ballade des aïeux de la nation cubaine elle-même!
Nicolás Guillén est escorté par ses aïeux (« Sombras que sólo yo veo, / me escoltan mis dos abuelos. ») En effet, « ces ombres que lui seul voit » font partie de lui, ont fondé qui il est. Pour se retrouver, être en accord avec lui-même et que les Cubains se réconcilient il est important d’accepter l’Espagnol et l’Africain qui sont unis dans un même être.
La rythmique africaine qui retrace la période cruelle et horrible de l’esclavage habite ce poème, lui donne corps et livre des vers que je trouve magnifiques, vivants, terriblement émouvants :
Africa de selvas húmedas
y de gordos gongos sordos...
--¡Me muero!
(Dice mi abuelo negro.)
Les allitérations parlent d’elles-même… l’âme africaine s’élève dans ces quelques mots, paroles de l’homme arraché à sa terre pour traverser l’océan, asservi.
négrier
Au début du poème le grand-père blanc et le grand-père noir s’opposent, chacun est de son côté et raconte l’esclavage. La cinquième strophe est la plus dure, la plus poignante, ce sentiment étant guidé, renforcé par la répétition de « barcos » (bateaux) et « negros » (noirs) qui nous fait vivre, au rythme des musiques et chants africains,  le flux incessant des bateaux négriers qui arrivaient aux Antilles et la vie dans les plantations.
Puis, à mesure que le poème avance, les grand-pères se rapprochent (« los dos en la noche sueñan / y andan, andan »), rejoints par leur petit-fils, puis s’embrassent et se réconcilient, fraternellement, dans un seul et même chant après avoir dépassé et mis de côté les cris, les rêves et les pleurs.
Un poème magnifique et vraiment intense dont l’émotion est renforcée par la forme particulière, le son, synthèse de deux cultures, l’union entre la part africaine et la part espagnole de Cuba.
Il est possible d’entendre son auteur le réciter ici.
mois cubain

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