4 mai 2011

« La femme changée en renard » – David Garnett

Silvia Tebrick et son mari, jeunes mariés follement amoureux, se promènent dans la forêt quand, après avoir entendu le bruit d’une chasse, soudainement Silvia se transforme en renarde :

Avant qu’ils eussent atteint la lisière, elle arracha violemment sa main de celle de son mari et poussa un cri, de sorte qu’il tourna brusquement la tête.

À l’endroit où sa femme avait été un instant plus tôt, il vit un petit renard d’un rouge très vif.  (p.19)

Mr Tebrick congédie alors tous les domestiques pour s’assurer que personne ne connaisse leur secret. Leurs sentiments l’un pour l’autre sont toujours aussi beaux et forts et, au début, il ne s’agit que d’une adaptation : Silvia dans ce corps de renarde continue à être la femme douce et délicate qu’elle était. Ainsi, elle s’habille, joue aux cartes et mange à table.

Cependant, au fur et à mesure, sa nature de renarde se révèle, ce qui fait le désespoir de son mari. Pourtant, il continue à l’aimer, tant qu’à un certain point il lui donne la liberté qu’elle cherche avidement. Néanmoins, ils seront encore liés…

Je découvre avec ce court roman (mais est-ce un roman ou bien une fable ou encore un conte?) David Garnett (1892-1981), auteur appartenant au cercle de Bloomsbury, le fameux groupe artistico-intellectuel qui comptait en son sein, entre autres,  Virginia Woolf, Lytton Stratchey, Dora Carrington, E.M. Forster ou Vita Sackville-West. Cette appartenance à ce groupe aux vues modernes sur les sujets tels que la femme, l’amour ou le pacifisme est important finalement et a achevé d’éclairer mon idée , ma théorie concernant cet écrit.

GarnettDavid Garnett

Les premières phrases de ce texte sont celles d’un conte et font référence aux mythes :

Les fait merveilleux ou surnaturels ne sont pas aussi rares qu’on le croit ; il faudrait plutôt dire qu’ils se produisent sans ordre. Parfois tout un siècle s’écoule sans qu’on observe le plus petit miracle, puis soudain lève une riche moisson de prodiges ; des monstres étranges grouillent sur la terre, des comètes flamboient dans les cieux (…) cependant que sirènes  et filles de la mer  ensorcellent les navigateurs( …) (p.13)

L’explication de la métamorphose ne nous est jamais donnée : c’est encore plus fort et nous force à focaliser sur l’essentiel (l’histoire d’amour) et à l’ancrer dans la réalité comme un fait avéré. D’ailleurs la forme du narrateur qui nous conte une histoire vraie qu’il aurait entendu renforce cet effet.

Cette histoire est avant tout celle d’un amour inconditionnel, beau et pur, surtout de la part du mari :

Bien que vous soyez un renard, j’aime mieux vivre avec vous qu’avec toute autre femme, je le jure, et cela même si vous étiez changée en n’importe quoi (…) Si changée que vous puissiez être, mon amour ne l’est pas. (p.30)

(…) son amour pour sa femme s’était lentement élargi jusqu’à comprendre les petits. (p.120)

Ce mari s’adapte aux changements aussi bien qu’il le peut, l’aime encore et toujours, même quand elle devient « sauvage »(en accord avec elle-même dirais-je plutôt), qu’elle veut partir ou qu’elle lui présente ses renardeaux… il n’a de cesse de l’aimer, de s’inquiéter pour elle, de la protéger. Il va même jusqu’à se mettre à son niveau, à essayer de mettre de côté sa nature humaine. Un homme touchant pour qui le narrateur semble avoir beaucoup de tendresse et qui touche le lecteur :

Qu’il était différent de ces maris qui, leurs femmes devenues folles, les enferment dans un asile et s’abandonnent au concubinage. Il se trouve beaucoup de gens, hélas, pour excuser une telle conduite, mais Mr Tebrick était d’un caractère bien différent ; bien que sa femme ne fût plus qu’un bête, il continuait à n’aimer qu’elle au monde. (p.92)

Elle aussi l’aime ou, en tout cas, garde une trace de leur amour, même quand elle vit en pleine nature.

De plus je vois en ce livre, qui se prête à de multiples interprétations, un écrit sur la liberté de la femme. Oui car cette femme suit enfin ses envies, ses intérêts naturels, écoute sa nature profonde et a la chance d’avoir un mari qui, finalement, la laisse faire.

D’ailleurs « Silvia » est, déjà en raison de son nom, une femme de la forêt, lieu qui fait de la jeune fille une femme.

Enfin ce livre est une ode à la Nature. Il mêle description des saisons, de la forêt animée et changeante ainsi que des considérations sur la cruauté de la chasse et sur la beauté et la pureté des animaux.

Une buée blanche était suspendue sur toutes choses ; le bois sentait l’automne. (p.122)

Ce livre, malgré quelques touches d’humour, reste surtout l’histoire magnifique et tragique d’un amour respectueux et pur !

Une découverte qui me permet d’honorer Challenge-anglais et logonaturewriting .

La femme changée en renard – David Garnett (1922)

Les cahiers Rouges – Grasset – 126 pages - 2008

6 commentaires:

  1. Oh, c'est très tentant ! J'aime le côté conte, ce genre de récit nous délivre toujours des leçons, quand on sait gratter un peu derrière le vernis fantastique.

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  2. C'est un livre pour moi ça :-)

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  3. Je l'avais noté il y a longtemps ce roman (à un moment je faisais des bibliographies avec des thèmes qui m'intéressaient et Bloomsbury y était passé). Tu me le remets en mémoire et surtout tu éclaires très bien son contenu. Merci !

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  4. Je crois que mon petit cerveau cartésien serait trop perturbé par cette renarde. Mais tu en parles quand même très bien.

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  5. Eiluned > oui, tout à fait!

    Pascale > chouette! :)

    Cecile > merci à toi pour ton commentaire! J'espère lire un billet dessus chez toi ;)

    Zarline > merci! ^^

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  6. Un beau billet qui me rappelle que ce roman est depuis longtemps dans ma LAL. J'ai très envie de le lire car il a inspiré un roman que j'ai adoré : Sylva de Vercors.

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