11 juin 2011

La colline de l’ange – Reinaldo Arenas

la colline de l'ange La Havane, au XIXe siècle, en pleine période esclavagiste. La belle Cecilia Valdés, jeune mulâtresse à la peau claire,  est, comme ses aïeules avant elle, amoureuse d’un jeune propriétaire terrien blanc qui lui promet le mariage, l’amour et tout ce qu’elle souhaite entendre. Outre les mensonges du jeune homme en question et le racisme prégnant, l’autre petit problème qui se dresse entre eux (mais qui leur est inconnu) est qu’ils sont demi-frère et sœur.

Une histoire d’esclavage, de quête de liberté, d’amour, de répétitions familiales, de déclin et d’horreur. Tout cela enrobé de tradition littéraire, de critique mais aussi et surtout d’humour, de burlesque, de farce, de « délires » reinaldiens savoureux !

Il faut que je précise que ce roman est une parodie d’un classique cubain, plus édité d’ailleurs, le Cecilia Valdés de Cirilo Villaverde, paru en 1882. Reinaldo Arenas a jugé que reprendre une intrigue existante est une trahison littéraire, certes, mais que celle-ci est traditionnelle (Eschyle, Sophocle et Euripide repris bien des siècles plus tard) utile et positive, qu’il s’agit en fait de l’essence même de la création puisqu’ainsi « on peut faire preuve d’une bien plus grande originalité créatrice, car libéré du souci d’une intrigue spécifique, on atteint l’essence pure de l’imagination, donc de la véritable création. »

Ainsi, débarrassé du souci de l’intrigue, Reinaldo Arenas s’en donne à cœur joie pour aller plus loin que l’auteur originel de la Cecilia. Bien que n’ayant lu l’œuvre du XIXe siècle, déjà fortement anti-esclavagiste, j’ai pu percevoir les libertés de Reinaldo Arenas. Ainsi, il dépeint toute une galerie de femmes, fortes, passionnées voire excentriques mais aussi des scènes inattendues tant elles sont absurdes, ridicules ou irréelles et, là où triomphe le génie d’Arenas, c’est que celles-ci s’intègrent parfaitement au récit! Et derrière chacune de ces scènes se cache, est dénoncée une injustice, une situation injuste et sont révélées les valeurs d’Arenas.

Sous l’effet d’une chute aussi vertigineuse, ou du vent assez fort du crépuscule tropical, ou sous les deux effets conjugués, il se trouva que les vastes jupons de la dame, en tombant à l’eau, se gonflèrent en un globe énorme ; il en fut de même de son corsage à manches gigot, et des bords immenses du chapeau qu’elle avait remise sur sa tête. Ainsi, en quelques secondes, cette dame phénoménale prit la configuration efficace d’un gros voilier puissant qui, poussé par le vent, quittait déjà la baie et franchissait le golfe du Mexique pour entrer, toutes voiles dehors, dans l’océan Atlantique. (pp. 85-86)

Parmi les femmes fortes, Isabel, fille de propriétaire terrien, esclavagiste qui est folle tant elle rationnalise et compte tout! Elle fait presque penser au lapin blanc d’Alice car elle consulte toujours sa montre :

Ma chère, répondit Isabel, nous resterons vingt-quatre heures, vingt-cinq minutes et une seconde seulement. J’ai calculé, avec une précision indiscutable, que si notre séjour ici n’excède pas  cette durée, nous pourrons arriver à la caféière juste à temps pour le décompte des grains secs. (p.74)

Et j’ai failli oublier les inénarrables et jouissives mises en abyme telles que :

L’auteur du roman! L’auteur su roman! Ne me racontez pas d’histoires, mademoiselle, car je vous ai surprise à faire et à dire des choses que l’auteur du roman, dont vous prétendez être un personnage, ne vous aurait jamais permises, sûr et certain! (p.131)

De plus, d’un point de vue purement formel, j’ai vraiment beaucoup aimé la construction du roman divisé en courts récits, chacun présentant un point de vue, un événement. Ils se répondent, s’enchaînent de manière fluide (même en cas d’ellipses) en construisant la trame de l’histoire.

Enfin, tout au long du roman, le lecteur assiste, malgré l’humour et la satire, à une tragédie dans la plus pure tradition antique (le fils défiant le père qu’il ne connaît pas et le blessant mortellement, une jeune fille qui tombe amoureux de son demi-frère, la répétition et la malédiction familiales) qui baigne dans un pamphlet anti-esclavagiste, une ode criante à la liberté de chaque individu.

En ce qui concerne la traite, il  ne faut pas traîner, car l’envie et la méchanceté mènent le monde (…) Après l’interdiction par les Anglais du trafic de bois d’ébène, il s’est installé au Brésil où il s’est marié avec une centaine de négresses à la fois. À présent, c’est lui qui fabrique des petits négros qu’il revend à prix d’or.

Don Cándido éclata de rire :

L’affaire n’est pas mauvaise! (pp.75-76)

Mais bien sûr!…

Une œuvre vraiment très originale, très réussie qui a réussi à m’indigner autant qu’à me faire rire… une première lecture de Reinaldo Arenas qui s’avère être un coup de cœur! Cela tombe bien puisque sous l’impulsion du mois cubain et de l’adoratrice de Reinaldo Arenas j’ai un autre roman de cet auteur dans ma PAL.

La colline de l’ange – Reinaldo Arenas (1987)

Actes sud, collection Babel – 177 pages - 2002

mois cubain

reinaldo-arenas

13 commentaires:

  1. Ahhh génial ! Je n'ai pas pu m'empêcher de lire quand même ton message alors que j'ai ce livre dans ma PAL... Mais j'ai eu la chance de tomber sur l'original Cecilia Valdès chez un bouquiniste il y a quelques temps et je ne m'y suis pas encore mise (c'est un petit pavé) et je veux trop lire l'original avant de lire la parodie de Reinaldo! D'après ce que tu en dis, j'ai l'impression que dans ce livre on retrouve tout son côté délire et aussi son côté engagé : tout ce que j'aime! Je suis ravie que ton premier Roi-naldo soit un coup de coeur! :D
    Dis, Cryssi, on pourra dire qu'on est 3, maintenant! (oui, 3 folles de Reinaldo Arenas) :p

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  2. Lamalie > oui l'original se trouve d'occasion! Moi aussi je suis ravie d'un tel coup de cœur surtout que je ne savais pas trop à quoi m'attendre en ce qui concernait son ton, son style! Je suis plus que ravie et sous le charme!
    Pour le reste, avec plaisir :D

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  3. C'est un de mes préférés de Reinaldo, beaucoup d'humour et le style est remarquable :-)
    Dans la bio que j'ai lue, on nous dit qu'en fait il n'aime pas du tout ce rroman (l'original) d'où le ton un peu libre et parodique.
    Je suis ravie que tu aimes notre Reinaldo :-) Quel est celui qui t'attend dans ta PAL ?

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  4. Cryssilda > "Fin de défilé" :) En effet je pense bien qu'il n'adorait pas la version originelle vu les critiques directes adressées à l'auteur ^^

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  5. Je ne connaissais ni l'original, ni la parodie. Du coup, je note ton coup de coeur même si j'ai un autre Arenas qui m'attend dans ma PAL ! Merci.

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  6. Oh, oh ! tentant tout ça ! :-o
    Je ne connais pas du tout ! Merci ! :D

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  7. Cecile > quel est l'autre Arenas que tu as?

    Leiloona > de rien, tout le plaisir est pour moi! J'espère que tu le liras et que j'aurai le plaisir de découvrir ton billet... j'aimerais beaucoup savoir ce que tu en penses.

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  8. Je ne connais pas du tout mais ça a l'air jubilatoire.

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  9. Ca fait très novela ! Je note.

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  10. Merci d'avoir mis les extraits ça m'a donné envie de découvrir cet auteur !

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  11. Ca a l'air vraiment très bien ! Je le note sur mon petit carnet ...

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