Suzanne meurt à soixante-dix ans. Une mort brutale, un accident cérébral. Elle laisse un mari, deux filles (Gabrielle et Marie), un chien. Les chiens et ses filles surtout sont sincèrement tristes et peinés par cette perte. Son mari… et bien comme toujours il ne pense qu’à lui, ramène cette perte à ce que lui endure sans se soucier ni de la fin de vie de cette femme qui l’a accompagné pendant cinquante ans ni de la douleur de Gabrielle et Marie.
Et elle ne méritait pas cela Suzanne, pas après ses soixante-dix ans de malheurs, peines et humiliations! Bébé pas aimée et abandonnée par Bertrande elle vit une parenthèse enchantée de quelques années chez sa grand-mère, Mémère, et sa tante bien-aimées. Mais à la mort de celle-ci elle va vivre avec « la dame du samedi », c’est-à-dire Bertrande, sa génitrice, celle qui « avait juste besoin de rapports sexuels fréquents (…) aimait chevaucher les cavaliers inconnus. Les hommes sans visage ».
Ce début de vie et tout le reste nous est raconté par la voix de Gabrielle, tour à tour ancrée dans la douleur de son deuil et des réactions de son père puis narratrice omnisciente témoignant de la dure vie et des pensées de Suzanne ainsi que de celles de Tonio le petit frère à l’enfance volée et, dans une moindre mesure, celles de Franck, ce père absent, égoïste et écrasant.
Cette douloureuse histoire de vie(s) est, paradoxalement, souvent poétique comme au moment, si triste, de la mort de Suzanne :
Tu souffles un nuage couleur framboise sur ton oreiller blanc (…) Toi qui as toujours cru que la vie continue, tu seras oiseau, fleurs, vent, mer, terre. Meurs, Suzanne. Meurs. Ta petit Gabrielle te prend la main. Elle t’encourage à partir sans te faire de soucis. Tu te libères de tes chaînes. Tu reprends ta liberté. Un océan rouge dans la tête. (pp.30-31)
Et puis ce titre est l’exemple le plus frappant de la poésie de l’auteur ; cette manière de nommer la mort en invoquant la nature liée à la femme est très belle et m’a touchée. Un jardin sur le ventre. Fabienne Berthaud aime la nature autant que Suzanne qui y trouve, en balconnières, dans les montagnes savoyardes ou dans les prairies, une bouffée d’air salvateur, une occasion de goûter à la liberté.
Ce roman est aussi une histoire de femmes. Franck est le seul homme d’un cercle féminin (hormis Tonio, absent depuis petit). La grand-mère et la tante, Bertrande, Suzanne et ses deux filles… Un récit de transmission et de répétition, malheureusement. Marie a quitté la maison et a changé souvent d’homme car « elle ne voulait surtout pas que sa vie ressemble à la tienne ». Or Suzanne justement n’a voulu connaître qu’un seul homme en réaction au comportement de sa mère à elle! Alors celle-ci a peut-être changé si souvent d’homme pour les mêmes raisons que Marie, en raison de la vie de Mémère! Dans ce cas quelle transmission dramatique car chacune voulant échapper aux comportements de sa mère les transmet à sa fille! (vous m’avez suivie?)
Enfin, la vie de Suzanne semble avoir été décidée dès le rejet par sa mère, in utero. Certains pensent que l’on attire à soi les situations que l’on vit… Le message « tu n’es pas désirée, tu ne vaux rien » émis par sa mère semble l’avoir poursuivie. Enfant dévalorisée qui se déprécie à l’adolescence (en pension) puis qui s’accroche à un mari pour ne pas faire comme sa mère et surtout pour essayer de lutter contre ce « tu n’es pas désirée ».
Telle une femme battue (qu’elle est… enfin plutôt brutalisée et humiliée… mais est-ce si différent?) elle a connu un début d’histoire d’amour très beau mais a vite déchanté.
Cette violence. Elle t’était familière. Cette brutalité incontrôlée. Ce vent de folie qui se déclenchait pour rien. Tu connaissais. Bien sûr que tu connaissais. Tu avec grandi avec. (p.211)
Sa seule joie, ses deux filles… si elles n’avaient pas été là, une vie comme un terrible gâchis!
Ce livre qu’on ne peut facilement redéposer une fois commencé m’a remuée et touchée. Une existence si continuellement triste, violente, sans amour ne peut que marquer le lecteur, tout comme le désespoir immense de Gabrielle.
Merci à et aux éditions Hugo et Cie de m’avoir permis de découvrir cet auteur sensible dont la poésie et la violence des phrases, souvent courtes, m’ont touchées. Je dois dire que l’écriture de cette jeune femme m’a fait penser, parfois, à Barbara Constantine… comme un pendant moins joyeux et optimiste (mais tout aussi talentueux) de l’auteur de Tom petit homme tout petit homme Tom. J’ai maintenant très envie de découvrir les autres romans de Fabienne Berthaud!
J'ai l'impression que ce livre vous as toutes remué. Il me tentait, j'ai failli postuler, mais finalement, ce n'est peut-être pas le bon moment.
RépondreSupprimerJe suis moins enthousiaste que toi. Certes, c'est une histoire touchante. Mais il m'a manqué un petit quelque chose que ce soit vraiment poignant.
RépondreSupprimerAu fil des blogs, je ne lis que de très jolies choses à propos de ce livre... Il me tente de plus en plus... J'espère pouvoir le découvrir bientôt... Merci pour ton avis si plein d'émotions...
RépondreSupprimerMélo > oui parfois on n'est pas prêtes pour tel ou tel livre...
RépondreSupprimerLili > ah ben zut :s Tu as réussi à identifier ce "quelque chose" qui manque?
Evilys > de rien :)
Un livre touchant et juste comme je les aime!
RépondreSupprimerUne très belle découverte pour moi aussi !
RépondreSupprimerBonjour, J'avais lu le témoignage de Sandrine. Un livre poignant.
RépondreSupprimerDe la poésie, une histoire de femmes sont des ingrédients que j'aime retrouver dans un roman. Je n'ai encore rien lu de Barbara Constantine ;du coup, j'ai envie de lire ces deux auteures assez vite. D'ailleurs, cela ne va pas tarder pour "A Mélie sans mélo" qui est programmé pour une LC le 20 février avec Véro.Signé :Anne (De poche en poche).
RépondreSupprimerClara, Sandrine et Syl > trois conquises donc! :)
RépondreSupprimerAnne > tu peux lire mon billet sur Barbara Constantine en cliquant sur son nom! Sinon c'est dommage que je n'ai pas su pour la lecture commune, j'aurais adoré me joindre à vous, j'ai hâte de le lire!
Un livre qui me tente même si le destin de Suzanne me fait penser à ma grand-mère et j'ai peur que cela me touche un peu trop.
RépondreSupprimerManu > peut-être en effet que ce sera trop émouvant pour toi... Bises.
RépondreSupprimerun livre qu'on voit beaucoup en ce moment sur les blogs.mais je ne pense pas le lire, du moins pas pour l'instant.
RépondreSupprimerHum, si jamais j'ouvre ce livre un jour (parce que ton billet me donne envie), il faudra que j'aie le coeur bien accroché.
RépondreSupprimerMais on ne peut que lire des choses gaies ... en ce moment je lis pas mal de littérature jeunesse, peut-être pour rester dans des thèmes plus joyeux ... encore que, pas tout le temps.
Alinea > chaque livre en son temps! ^^
RépondreSupprimerLeiloona > ah oui il faut bien l'accrocher, c'est certain!