26 avril 2011

« A memory of wind» – Rachel Swirsky

Hélène, la femme de Ménélas, s’est enfuie à Troie avec Pâris. Ménélas demande donc à ses alliés d’aller combattre Troie. Parmi eux son frère, le roi Agamemnon, roi de Mycènes.

Mais ce dernier ayant courroucé la déesse Artémis, celle-ci empêche la flotte de partir, faute de vent. Le devin Calchas annonce que le seul moyen de contenter la déesse est qu’Agamemnon sacrifie sa fille, Iphigénie. Celui-ci, sous le regard insensible d’Ulysse et Ménélas, accepte. Il fait venir sa fille au port d’Aulis sous le prétexte fallacieux de l’unir à Achille.

Voici le contexte mythologique qu’a repris Rachel Swirsky (jeune auteur américaine, féministe, qui m’était inconnue jusqu’alors) pour nous livrer sa vision des dernières heures de la jeune Iphigénie.

Une nouvelle à la première personne, choix qui accentue la dimension tragique du récit à l’issue inéluctable qui s’ouvre sur cette phrase terrible : « I began turning into wind the moment that you promised me to Artemis. »

Iphigénie s’adresse à son père, celui qui, seul, a scellé son destin. Celui qui s’est arrogé le droit de sceller son destin afin de pouvoir faire la guerre et sauver son royaume. À l’instant où Agamemnon accepte le sacrifice Iphigénie, condamnée, commence à perdre souvenirs et sensations : « I lost so much. Words. Memories. Perceptions. »

Les sensations et les sentiments sont magnifiquement décrits par Rachel Swirsky qui a su me toucher, m’émouvoir profondément de la première à la dernière ligne de ce récit. Les cinq sens sont en éveil tout le long ; Iphigénie les perdant, leur évocation n’en est que plus forte et ils nous marquent encore plus!

I belted my garment and followed you out of my chamber and down the echoing stairs to the bottom story. Flickers of firelight rumbled through the doors that led to the megaron.

ou bien encore :

The smell of your sweat drifted on the night breeze, mixing with horsehair and manure. The combined scents were both foul and tantalizing. When you visited the women’s quarters, it was always after events had ended, when the sweat was stale or washed away. Suddenly, things were fresh and new. You had brought me into the middle of things.

La jeune fille évoque également tout ce qu’elle va perdre, ses regrets, comme celui, poignant, de ne jamais avoir la possibilité de porter des enfants, elle si proche et maternelle avec son petit frère, Oreste, un grand bébé qu’elle câline, à qui elle se confie, à qui elle s’en remet :

“I am dissolving into pieces,” I told him. “I need you to remember me for me. Will you do that? Please?”

Une phrase incroyablement dramatique et forte!

J’ai été également touchée par Clytemnestre, la mère d’Iphigénie, qui a déjà perdu un enfant de la main de son mari et qui essaie de sauver sa fille. Pourtant, au moment où se succèdent un tourbillon d’émotions Iphigénie lui reproche de n’avoir pas su la protéger de ce père.

Quant aux hommes, aucun ne trouve grâce sous la plume de l’auteur ni à mes yeux hormis Oreste, bébé innocent et l’attachant et Iamas, le fidèle serviteur de Clytemnestre qui a vu Iphigénie grandir. En ce qui concerne les autres ils sont soit sadiques, comme Calchas :

“What have I done?” you asked Calchas. “What does the goddess want?”

The priest smiled.

Soit assoiffés de guerre et de sang tels Ulysse et Ménélas :

Odysseus and Menelaus fixed you with hungry gazes. Their appetite for battle hollowed the souls from their eyes as starvation will hollow a man’s cheeks.

Ou encore hautains et froids  comme Achille qui réagit bien trop tard:

But Achilles’s gaze was hard and disdainful, too.

Sans parler des soldats rustres et violeurs de l’armée d’Agamemnon.

Enfin Hélène, la cause de cette guerre, est la tante d’Iphigénie. Clytemnestre avait mis en garde sa fille, lui avait dit de se tenir à l’écart de cette femme belle mais dangereuse. Malheureusement, Clytemnestre était loin de se douter qu’elle provoquerait la mort d’Iphigénie! Toutefois Rachel Swirsky montre finalement une Hélène mieux intentionnée que ce qu’en révèlent les mythes, inquiète pour sa nièce même. Malgré tout, Iphigénie en veut à cette femme pour qui elle est sacrifiée :

Should I be glad that I’ll never see the sun again so that Helen can be led like an errant child back to the marriage bed she desecrated? Should I rejoice that my death will enable my father to slaughter Trojans over a vixen that ran into the hills when she went into heat? Should my life dower the frigid air that passes between my uncle and his whore?

L’accélération du rythme des dernières pages accompagne les tourments et la succession d’émotions violentes d’Iphigénie, une violence qui passe à la lecture et qui culmine dans une phrase incroyablement douloureuse.

Rachel Swirsky a une grande sensibilité et un don d’empathie certains, tous deux mis au service d’une nouvelle qui m’a beaucoup plue mais, surtout et avant tout, je l’ai trouvée triste, infiniment émouvante et poignante!

L’histoire bouleversante d’une jeune femme qui aurait aimé décider de sa vie, que son existence ne soit pas soumise aux désirs impérieux des hommes et des divinités.

Un grand merci à Céline pour cette découverte qui me permet, en plus, de commencer à honorer son challenge ainsi que de continuer à contribuer au mienlogo challenge La nouvelle .

6 commentaires:

  1. ton billet me fait ajouter ce livre sur ma LAL - j'adore toutes les réécritures de la guerre de troie - connais-tu "plaidoyer pour clytemnestre" ? épatant aussi !

    RépondreSupprimer
  2. Je suis ravie que tu aies aimé cette nouvelle ... Elle m'a mise les larmes aux yeux, et je l'ai finie en ne voyant plus l'écran net.
    Quelle sensibilité ! Quelle beauté !

    RépondreSupprimer
  3. Irrégulière > ça l'est!

    Niki > oui ajoute-le! Par contre c'est une nouvelle en ligne ; le lien dans mon billet, quand je parle de "la vision" de l'auteur. Je ne connais pas le titre dont tu parles, je vais aller voir cela de plus près!

    Céline > je te comprends!

    RépondreSupprimer
  4. Superbe cette vision moins "académique" que l'originale ! Mais in french, c'est possibeule ?? je ne comprends pas tout !!^^

    RépondreSupprimer
  5. Asphodèle > cette nouvelle n'est, pour le moment, qu'en ligne et en anglais...

    RépondreSupprimer

Vous pouvez me déposer ici un petit pli...